Surdité et troubles du neuro-développement : du repérage à l’implantation cochléaire – Quelles spécificités ?

Publié le : 18 février 2020

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Isabelle Rouillon¹, Caroline Rebichon¹, Claire Favrot², Chloé Durrleman³, Marine Parodi¹, Sophie Achard¹, Françoise Denoyelle¹, Natalie Loundon¹

¹ Service d’ORL, Unité d’Audiophonologie, Hôpital Necker, Paris
² Pédopsychiatre UTES, Paris
³ Service de neuropédiatrie, Hôpital Necker, Paris

[Cet article est tiré d’une conférence donnée dans la cadre du colloque ACFOS des 09 et 10 novembre 2022 « Surdité et handicaps associés : Du diagnostic à l’accompagnement ». Toute erreur ou inexactitude dans la retranscription des propos est de la responsabilité d’ACFOS et non de son auteur].

Introduction

Les troubles du neuro-développement (TND) sont fréquents chez les enfants présentant une surdité, avec une prévalence allant de 4 à 11 %. Une évaluation précoce est cruciale afin d’adapter la prise en charge et d’optimiser le pronostic linguistique, notamment dans le cadre d’une implantation cochléaire (IC).

Prévalence des troubles associés :

  • Troubles associés : 20-40 %.
  • Troubles du neuro-développement : 4-11 %.
  • Déficit cognitif : 5 %.

1. Évaluation et diagnostic précoce

Le dépistage auditif néonatal permet d’identifier une surdité dès les premiers mois de vie. Il est recommandé d’établir un diagnostic avant 3 mois afin d’initier une prise en charge précoce. Ce dépistage doit être associé à une surveillance des TND, en particulier chez les enfants présentant des facteurs de risque :

  • Antécédents familiaux (retard psychomoteur, épilepsie…).
  • Facteurs liés à la grossesse (anomalies échographiques, infections maternelles, exposition à des toxiques).
  • Facteurs néonataux (souffrance fœtale aiguë, score d’Apgar bas).

Une évaluation clinique complète est essentielle, incluant :

  • Examen du périmètre crânien (dépistage d’une microcéphalie).
  • Évaluation du développement postural, de la psychomotricité fine et du langage.
  • Analyse des outils de communication et des compétences cognitives.

Étiologies des surdités associées aux TND

Les principales causes incluent :

  • Origine génétique et syndromique (CHARGE, autres syndromes).
  • Malformations cérébrales.
  • Infections congénitales (CMV congénital, rubéole).
  • Souffrance néonatale (ictère sévère, hypoxie-ischémie) → séquelles neurologiques dans 25-50 % des cas.
  • Infections neuro-méningées post-natales (méningites, méningo-encéphalites).
  • Atteintes métaboliques.

2. Bilan diagnostique

Un bilan exhaustif est nécessaire avant toute décision thérapeutique :

  • IRM cérébrale +/- TDM cérébral (recherche de calcifications).
  • Bilan vestibulaire.
  • Recherche du CMV congénital (PCR salivaire <3 semaines, test de Guthrie <2 ans).
  • Consultations spécialisées :
    • Génétique,
    • Ophtalmologie (fond d’œil),
    • Neuropédiatrie, psychologie, pédopsychiatrie : des tests complémentaires peuvent être demandés en fonction de l’orientation.

Outils d’évaluation des fonctions intellectuelles chez le jeune enfant

Tests cognitifs non verbaux < 3 ans :

  • Griffiths Mental Development Scales (GMDS).
  • Mullen Scalpes of Early Learning (MSEL).
  • Bayley Scales of Infant Development-II.
  • Brunet-Lézine R (test incluant un volet verbal).

Tests cognitifs non verbaux > 3 ans :

  • Leiter International Performance Scale-Revised (LIPS-R).
  • WPPSI-R (dès 2,5 ans).
  • WISC-V.

Evaluation globale > 3 ans

  • NEPSY : fonctions exécutives visuelles et auditives.
  • PEP_R: profil psycho-éducatif révisé.

Le suivi doit être prolongé, toujours réajusté en fonction du développement afin de ne pas sur ou sous évaluer les compétences de l’enfant.

Suspicion de troubles du spectre autistique :

3. Troubles associés et implantation cochléaire

Caractérisation des troubles associés et impact sur le pronostic

La sévérité des atteintes cognitives influe sur les résultats post-implantation :

  • Atteinte cognitive légère → Meilleur pronostic linguistique,
  • Atteinte modérée à sévère → Développement du langage plus limité,
  • Présence des prérequis de communication avant l’IC (Tait, 2000) → meilleur pronostic.

Les facteurs de risque de faible développement linguistique incluent :

  • Absence d’attention conjointe,
  • Troubles de la motricité oro-faciale,
  • Troubles associés sévères (TSA, déficience intellectuelle profonde).

Résultats post-implantation :

  • Amélioration de la perception de l’environnement et de la qualité de vie (Ze, 2013),
  • Développement du langage plus lent (Yang, 2004 ; Holt, 2005),
  • Syntaxe et vocabulaire plus difficiles à acquérir (Hiraumi, 2013),
  • Les enfants avec déficit cognitif léger bénéficient de l’IC (Holt, 2005 ; Lee, 2010),
  • Pour les atteintes plus sévères, amélioration des compétences auditives et non verbales après 12-24 mois.

3. Utilisateurs partiels et non-utilisateurs d’implant cochléaire

Dans une cohorte de 909 enfants implantés, 7 % étaient non-utilisateurs et 3 % utilisateurs partiels. Parmi eux, 41 % présentaient des TND.

Les difficultés rapportées incluent :

  • Adressage plus tardif,
  • Bilans plus longs et complexes,
  • Difficultés d’adaptation aux prothèses auditives,
  • Attentes parentales élevées.

Au niveau de la qualité de vie :

Echelles de qualité de vie validées en français :

  • Spécifique Enfant avec IC :  Cochlear Implant module (KINDL-CI module) 4 ans – 16 ans
  • Utilisable si IC mais non spécifique :
    • Pediatric Quality of Life 4. (PedsQL 4.0) 2 ans – 18 ans
    • Health Utility Index 3 (HUI 3) après 5 ans
    • Child Health and Illness Profile (CHIP) 6 ans – 17 ans
    • Child Health Questionnaire (CHQ) 5 mois – 18 ans
    • KIDSCREEN-27 8 ans -18 ans

Résultats au niveau de l’implant cochléaire

La plupart des études montrent :

  • Une amélioration significative des capacités d’écoute de l’enfant avec son IC,
  • L’évolution linguistique est décalée voire peut être très limitée selon les enfants, surtout l’expression,
  • Les parents sont le plus souvent satisfaits de l’amélioration et reprendraient la même décision ou le conseilleraitent à d’autre familles.

[Berrettini et al., 2008; Donaldson et al., 2004; Edwards et al., 2006; Lanson et al., 2007].

Les questions suivantes se posent :

  • Doit-on retarder la date de la chirurgie : plutôt vers 18 mois ? / Ou faut-il pencher plutôt vers une chirurgie précoce?
  • Faut-il avoir les différents avis et bilan d’imagerie avant (neuro, pédopsy, contrôle IRM, prise en charge neurochirurgicale…)
  • Faut-il attendre que les pré-requis de la communication se mettent en place?
  • Faut-il attendre de voir évolution enfant ?

On préconiserait plutôt de garder, si possible, l’objectif d’une implantation cochléaire précoce.

Doit-on privilégier l’implantation unilatérale ou séquentielle ? Afin d’être sûrs de rendre service à l’enfant, on propose de faire d’abord un coté puis le second en fonction bénéfice du premier implant.

Dans tous les cas, l’évaluation et la décision doivent être multi-disciplinaires et conjointes avec les parents. Il est important de garder un pronostic langagier réservé.

4. Prises en charge spécifiques précoces

Les adaptations de la prise en charge précoce permettent d’améliorer l’évolution globale :

  •   Psychomotricité,
  •   Orthophonie,
  •   Psychothérapie spécifique jeunes enfants et parents,
  •   Thérapie sensori-motricité (Bullinger),
  •   Physiothérapie.

Conclusion

  • Le repérage précoce est essentiel, parfois après l’IC,
  • L’évaluation doit être multidisciplinaire,
  • Il faut analyser les limites en termes de perception et communication,
  • L’adaptation des outils d’évaluation, notamment via des questionnaires de qualité de vie, est cruciale,
  • La perception de la parole progresse, mais la production orale reste incertaine,
  • Un projet thérapeutique réaliste et adapté doit être proposé à chaque enfant.