Entrée dans l’écrit : des spécificités pour les enfants sourds dans le cadre scolaire ?

Publié le : 12 décembre 2024

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selective focus photography of girl

La lecture, Grande cause nationale 2021-2022

Cet écrit est une synthèse de notre intervention au colloque ACFOS qui s’est déroulée en décembre 2023. Il a pour objectif de mettre en réflexion la spécificité de l’accompagnement des jeunes sourds, dans l’apprentissage du lire et du écrire, en portant la focale sur la pratique de l’enseignant qui plus est de l’enseignant spécialisé. Nous partons du principe qu’un accès à l’écrit doit être travaillé et visé avec le plus grand nombre de profils des jeunes ; il nous semble possible avec des moyens et surtout des pratiques adaptées.
Nous présenterons tout d’abord, très globalement, quelques notions tirées de diverses ressources et les attendus pédagogiques sur le sujet. Nous évoquerons ensuite des outils et pratiques utilisés afin d’y répondre. Nous verrons enfin ce que certains de ces outils peuvent donner en pratique de classe avec des profils divers de jeunes sourds.

I. Apports théoriques et officiels

1. Une brève réflexion introductive

Aujourd’hui, les écrits sont clairs sur le sujet de l’apprentissage de la lecture : le travail phonologique est inévitable pour apprendre à lire et à écrire. Ce point entraîne obligatoirement de grandes interrogations concernant un certain public d’enfants sourds. A noter que notre expérience s’appuie très fortement sur des jeunes sourds scolarisés au sein d’unité d’enseignement de dispositifs médico-sociaux (unités internalisées et externalisées dans des établissements de l’Education nationale). Le public décrit dans notre intervention est donc, pour diverses raisons, freiné voir empêché pour entrer dans l’écrit notamment via le travail autour de la correspondance grapho-phonologique. Nous souhaitons situer notre échange, au -delà des méthodes et outils, et positionner notre réflexion plutôt sur les pratiques des enseignants : quelles pratiques de l’enseignement de l’écrit seraient à développer pour tous idéologiquement, pour le plus grand nombre, de manière plus réaliste ?

2. Notre point de départ : l’acquisition du langage et l’importance de s’inspirer continuellement du cycle 1 (programme scolaire de l’école maternelle)

La diapositive ci-dessous représente, à notre sens, la spécificité propre du public sourd : l’acquisition du langage. En effet, nous entrons dans l’écrit, qu’il soit celui du français ou d’une autre langue écrite, grâce à un langage premier effectif acquis ; un langage efficient, solide, nous permettant de rentrer dans cette dimension de lecture et écriture. Or, les élèves avec lesquels nous travaillons le plus souvent, n’ont pas de langage stabilisé ou construit lors de leur arrivée à 6 ans ou plus au sein de notre dispositif. Que cela soit la LSF ou la langue française orale, l’utilisation de l’une de ses langues reste peu « fonctionnelle ». Ce dernier point distingue, pour nous, fondamentalement ces jeunes sourds des jeunes allophones. Ces deux publics d’élèves à besoins particuliers sont très souvent comparés dans les pratiques d’enseignement. Des passerelles, des idées, des supports sont bien évidemment transférables, et bien heureusement, à beaucoup d’élèves. C’est également aujourd’hui un enjeu d’avoir une pratique la plus accessible possible tournée vers le plus grand nombre d’élèves. Mais, il est à préciser, que la différence cruciale de maîtrise d’un langage construit est bien là la spécificité du public sourd comparativement à d’autres publics, qu’on le veuille ou non. Le chemin, représenté sur cette dispositive, entre acquisition du langage et entrée dans l’écrit, nous apparaît donc très souvent sinueux.

Figure 1 : lien entre entrée dans l’écrit et acquisition du langage ; diapositive présentée au colloque

La prochaine diapositive tire des éléments du programme officiel de l’école maternelle : le cycle 1. Ce dernier nous semblait inspirant en termes de pratiques enseignantes et surtout de préalable à penser pour l’entrée dans l’écrit.

Figure 2 : les instructions officielles ; les fondamentaux du cycle 1 ; diapositive présentée au colloque

Nous trouvons dans le programme du cycle 1 l’importance du principe que tous les enfants sont capables d’apprendre et de progresser. Une école qui accueille enfants et parents et où la place du langage est primordiale, condition nécessaire à la réussite. Pour les enfants sourds, la priorité dans la pratique enseignante et dans la pratique pluridisciplinaire surtout (avec le jeune et sa famille ) est donc à positionner en axe premier. Très tôt, la fonction de l’écrit, l’acculturation à l’écrit , écouter /voir des textes écrits et produire des textes (sous forme de dictée à l’adulte par exemple) apparaissent comme des ancrages à bâtir pour nous. Sans ce travail de fond sur le langage et la culture de l’écrit et ce de façon précoce, l’entrée dans l’écriture et la lecture serait plus qu’un chemin sinueux : sans cela, il serait un chemin non empruntable.

3. Tout est prétexte à dire, donc à écrire et donc… à lire !

Il s’agira dans cette partie de présenter globalement des principes inspirants quant à l’entrée dans l’écrit pour un public dirons-nous empêché. Monsieur Philippe Séro-Guillaume dénonce, à l’époque, dans son ouvrage intitulé langue des signes, surdité et accès au langage, la correction systématique et le manque d’accueil des « tâtonnements expressifs » de l’enfant sourd.
L’une des pratiques utilisées en classe actuellement au sein de nos dispositifs est de provoquer des situations concrètes d’expressions, de discours à partir d’éléments vécus ( une sortie, les vacances…)ou d’un support ( albums de jeunesse, affichage, listes de courses…), de porter à l’écrit ce discours et d’ainsi opérer la boucle suivante :

Dans un contexte discursif, partir du postulat que tout est prétexte à dire et donc à écrire ; ce que nous écrivons, nous le lisons ce qui n’implique pas la réciproque (lire n’engendre pas obligatoirement l’acte d’écrire). Ainsi l’écrit apparaît à la fois comme un moyen et une finalité qui plus est dans ce contexte de l’accompagnement de jeunes sourds.
Philippe Séro-Guillaume propose donc d’insérer des éléments dans le discours proposé par le jeune et de travailler l‘écrit avec l’élève plutôt sous l’angle de réécritures en y insérer des éléments sans bouleverser l’ordre syntaxique proposé par l’enfant. C’est un travail impliquant du temps, des routines, du travail explicite en langage oral/signé avec le jeune concerné et des pairs si possible (cf également les ouvrages de Jocelyne Giasson et les travaux de Dominique Bucheton et de Jean-Charles Chabanne). Philippe Séro-Guillaume invite donc à abandonner un modèle plus correctif qui, globalement, consisterait à une correction de l’écrit très normée par l’enseignant et à un déplacement des entités linguistiques proposées par le jeune ( l’enseignant déplace l’ordre des mots proposé par le jeune). Pour les jeunes sourds utilisant la LSF, le modèle correctif impliquerait que l’enseignant spécialisé ou tout professionnel travaillant l’écrit avec un enfant sourd demanderait donc au jeune de passer directement de la LSF ( ou langage premier non stabilisé) au français écrit. Cela reviendrait à mettre « sur le même plan » une langue « orale » (LSF ou encore un langage premier naturel du jeune) et une langue écrite (le français écrit). Quid du français que l’on parle ? Si nous devions comparer la LSF au français, il s’agirait, dans un premier temps, de le comparer au français que l’on parle et non à celui que l’on écrit.

Figure 3 : écrire pour lire_ exemple d’un écrit à partir d’une tablette-pictogrammes ; diapositive présentée au colloque

Autre piste de réflexion : l’étude menée sous la direction de Roland GOIGOUX en 2013-2014.

Figure 4 : écrire pour lire ; rapport de recherche de Roland Goigoux ; diapositive présentée au colloque

Cette étude traite des effets des diverses techniques didactiques et mises en œuvre au cours préparatoire dans l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Elle traite de cinq sous-ensembles :

  • du code alphabétique et des procédures d’identification des mots,
  • de la compréhension des textes écrits,
  • de l’écriture,
  • de l’étude de la langue,
  • de l’acculturation à l’écrit.

Notons que si les sous -ensembles apparaissant en gras nous semblent freinés (mais non impossibles à travailler) pour un certain type de profils d’enfants sourds, les trois autres peuvent être entraînés et abordés précocement avec tous profils. Cette étude relève, entre autres choses, que les compétences surlignées en jaune ont peu été observées en pratique de classe.

Figure 5 : écrire pour lire ; rapport de recherche de Roland Goigoux ; diapositive issue d’un document de travail de Hedi Fatnassi, enseignant spécialisé

La compréhension explicite d’un texte lu est une compétence essentielle à travailler en classe pour devenir lecteur autonome. À ce sujet, dans cette étude, il est noté que :

L’enseignement explicite de la compréhension de textes lus est outillé par Roland Goigoux et Sylvie Cèbe à travers les supports Narramus ou encore Lectorino & Lectorinette (et Lector & Lectrix).

Figure 6 : pistes de travail ; apprendre à comprendre des textes narratifs et à raconter ; diapositives présentées au colloque

L’outil Lectorino & Lectorinette rappelle les quatre composantes pour comprendre un texte :

  • les compétences narratives : réception-production
  • les compétences inférentielles : reformulation-expansion-états mentaux
  • les compétences de décodage : automatisation
  • les compétences lexicales : acquisition-mémorisation-réemploi

Faisons écho à la réflexion menée à partir de l’étude menée par R.Goigoux plus haut, dans cet écrit : malgré la compétence en gras altérée ou empêchée pour certains ou beaucoup de jeunes sourds, il semble donc encore plus crucial de travailler les autres compétences en accueillant et partant du discours des élèves et en ayant comme axe fondateur la construction du langage.
Le travail spécifique et spiralé ( sous la forme de routines, de schémas stables) du lexique et d’aides à sa mémorisation, de questionnements sur les pensées, volontés, ressentis des personnages ( triptyque ) permettront progressivement de proposer un cadre rassurant d’apprentissage et un accès à des stratégies de lecteurs afin de pouvoir comprendre un texte, cerner les causalités-conséquences dans un écrit.

Figure 7 : supports ; apprendre à comprendre des textes narratifs et à raconter ; diapositives présentées au colloque

Maintenant place à une illustration plus concrète d’expériences de pratiques en classe par Camille Jondeau, enseignante spécialisée CAPEJS !

II – Un exemple de pratique sur le terrain

  1. Les outils

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour les enfants sourds varie énormément selon les profils des jeunes (appareillage, développement langagier, parcours linguistique oralisant ou signant, troubles associés ou non). Ainsi les objectifs fixés par les bulletins officiels sont atteignables à différentes vitesses et via diverses adaptations.
Que ces jeunes soient en unité d’enseignement externalisée ou internalisée, les enseignants font face à des groupes de niveaux hétérogènes. Pour rendre accessible son enseignement, la première chose à faire est de préparer ses cours en pensant toujours à l’élève le plus en difficulté. Si cet élève comprend tous les autres comprendront. Cela permet une différenciation plus fine et précise.
Du point de vue spécifique de la lecture : la lecture correspond au fait de décoder mais aussi d’encoder, puisqu’on lit lorsqu’on écrit. Lire c’est aussi mettre du sens à ce qui est lu. Pour travailler ces deux axes, des approches différentes vont être utilisées selon les profils des jeunes rencontrés. En partant de quatre profils de jeunes, nous allons présenter une pratique. Avec tous ces jeunes, un outil et une méthode sont utilisés : Narramus (Goigoux et Cèbe, 2017) / Lectorino & Lectorinette (Goigoux et Cèbe, 2013) et La méthode Aloé (Roy et Martin, 2014).

Narramus et Lectorino & Lectorinette sont des outils de travail sur la lecture-compréhension et la langue orale. Ils ont été développés par deux chercheurs en lecture : Roland Goigoux et Sylvie Cèbe. L’objectif de Narramus est d’apprendre à raconter un album et à comprendre l’histoire entendue dans toute sa subtilité via l’étude des personnages.

Figure 1 : Etude du vocabulaire en classe

Les séances sont ritualisées et les albums étudiés sont toujours des récits en randonné, ce qui créer une redondance qui va devenir identifiable et exploitable par les élèves. Les séances débutent toujours par une phase de découverte ou de rappel du lexique. Ce lexique est discuté et explicité par l’enseignant. Cela permet de développer les représentations que les jeunes peuvent avoir d’un mot ou d’une expression et de déjà se projeter dans l’histoire. Puis il y a une phase de découverte du texte prédécoupé, lu par l’enseignant. Suite à cette lecture, les élèves travaillent la compréhension par l’extraction d’information : qui sont les personnages ? où sont-ils ? que se passe-t-il ? que va-t-on voir sur l’image de l’album ?

Figure 2 ; en bas : Représentations d’un élève, par le dessin et la maquette

Cet exercice permet de travailler l’image mentale et la représentation que les élèves se font de ce qu’ils viennent d’entendre. Il est possible de leur demander de la dessiner. Les différents points de vue sont discutés et confrontés au texte. Pour avoir une meilleure confrontation, il va être demandé aux élèves de se mettre à la place des personnages : qu’est-ce qu’ils veulent ? ressentent ? savent ? Cette étape peut être mise en place par simple échange, ou bien à travers le jeu (théâtre ou maquette). Le fait de jouer va permettre le partage et d’expliciter la compréhension des élèves. Il va aussi permettre de différencier ce que savent les élèves de ce que savent les personnages, ce qui est une confusion récurrente chez les jeunes. Il est aussi demandé aux élèves de faire des hypothèses sur la suite du récit. Ce qui permet de mettre en lumière la randonnée/répétition, de travailler plus finement le lien de causalité/conséquence et de favoriser la cohérence textuelle. Tout cela les aide à s’inscrire dans un schéma narratif complet et d’atteindre l’objectif final de rejouer/raconter l’histoire seul. Narramus vise un public de cycle 1 jusqu’au début du cycle 2.

Lectorino & Lectorinette, développé par les mêmes chercheurs, vise le cycle 2. Cet outil utilise les mêmes axes de travail et mécaniques mais en partant du texte lu par les élèves. Ils y découvrent par exemple les structures de textes, comment gérer le lexique inconnu… Le vocabulaire donné aux élèves est réfléchi en amont et certains mots inconnus sont à deviner avec l’aide du contexte.

La méthode Aloé a été développée par deux enseignantes CAPEJS : Mme Roy Brigitte (également orthophoniste) et Mme Martin Marie-Odile. C’est une méthode d’apprentissage de la lecture multimodale qui s’appuie sur le visuel, l’auditif et la kinesthésique. Elle a été créée pour les jeunes sourds, mais elle est adaptée pour tous les publics. Cette méthode repose sur un système de codage des sons voyelles par couleur et d’association des phonèmes consonnes à des cartes de symboles. Au dos de ces cartes sont notés tous les graphèmes possibles pour le phonème au fur et à mesure qu’ils sont rencontrés dans les écrits. Cela permet d’expliciter le passage de l’oral à l’écrit. Chaque phonème est également associé à un geste. Ces gestes sont pensés pour aider à la production orale et à la lecture labiale. Dans la méthode, les exercices sont équilibrés entre encodage et décodage car les deux sont nécessaires pour avoir une bonne conscience phonologique et devenir bon lecteur/scripteur.

Figure 3 : Cartes de La Méthode Aloé

Cet outil et cette méthode permettent de travailler les deux axes de la lecture : la compréhension et la conscience phonologique. En pratique, quatre grands profils d’élèves se distinguent. A travers ces exemples, nous allons voir comment ces outils sont utilisés.

2. La pratique selon les profils

  • L : Profil oralisant avec un bon gain auditif

Pour cet exemple, l’élève L a une surdité évolutive, elle a entendu jusqu’à ses 3 ans puis a été bi-implantée. Elle a eu le temps de développer une langue, certes non parfaite mais efficiente. Elle oralise, elle comprend ce qui est dit oralement avec plus ou moins besoin de supports visuels (FCSC, LPC, LL) selon le contexte. En enseignement spécialisé, en utilisant les supports visuels elle a appris à décoder des phrases en l’espace d’un an avec la méthode Aloé, ce qui s’approche le plus de la norme. A la fin de l’année, elle pouvait le lire un texte sans le soutien des couleurs de la méthode (cf. Annexe 1). Le texte est conservé et non simplifié. Elle est entrée dans le décodage assez rapidement, alors en parallèle elle a pu commencer le travail de compréhension de texte avec Lectorino & Lectorinette.

  • R : Profil oralisant avec un gain auditif insuffisant

Dans cet exemple, R est un jeune bi-implanté, l’appareillage s’est fait vers ses 3 ans, peu après son arrivée en France. Par gain insuffisant, j’entends un gain auditif qui ne permet pas à l’élève d’avoir un feed-back qualitatif sur sa production orale. Ce jeune était capable, avec la méthode Aloé, de décoder des mots isolés au bout d’un an. Cependant, sa production orale de lecture à voix haute est souvent saccadée et les phonèmes restent isolés. Puisqu’il n’y a pas de coarticulation efficace et que sa production ne correspond pas à l’empreinte sonore du mot telle qu’il la connait, alors il n’arrivait pas à mettre de sens. Pour qu’il mette du sens sur un seul mot lu, il avait besoin de visuel en soutien (LL, code couleur, symboles, gestes, mot répété en miroir, images/pictogrammes).
Le même texte que précédemment est utilisé comme exemple (cf. Annexe 2) avec les pictogrammes du centre Daviel/Robert Laplane en soutien. C’est un centre ressource, avec qui nous avons travaillé en collaboration. Le but est d’apporter des étayages pour petit à petit préparer le dé-étayage : progressivement enlever les pictogrammes d’abord, puis les couleurs. Pour ce profil, lire en mettant un sens sur un mot prend plus de temps et il lui faut plus d’effort pour y parvenir. Un travail de parole est à mener en parallèle pour l’aider dans sa production et sa réception de l’oral. Pour travailler la compréhension des textes avec ce profil, nous utilisions Narramus.

  • A : Profil signant avec retour auditif correct

Dans cet exemple, A est une jeune fille implantée à droite et qui a un contour à gauche. Elle possède un handicap associé à la surdité. Elle a un gain auditif intéressant, mais du fait de son handicap moteur, elle est en incapacité d’oraliser. Ainsi on se retrouve dans la même problématique que le profil précédent. Ils sont capables d’encoder des mots avec un support visuel en complément (LL, gestes) mais ne sont pas capables de décoder en mettant du sens. Comme ils n’oralisent pas, il n’y a pas de retour auditif sur ce qu’ils arrivent à décoder et donc pas de sens même s’ils ont une représentation sonore (plus ou moins juste) de ce mot. La différence entre ce profil et le profil précédent est que le jeune de tout à l’heure peut avoir accès à l’oralisation, il a juste besoin de plus de temps. Cette jeune à contrario, n’oralisera jamais. C’est pour cela qu’avec elle, la méthode Aloé est utilisée en accentuant davantage sur les supports visuels (code couleur, symboles, pictogrammes/images), le texte utilisé est le même que précédemment (cf. Annexe 2). Elle va avoir besoin de mémoriser davantage de mots en global. Pour la compréhension de texte, Narramus est utilisé. Avec ce genre de profil des outils comme des tablettes peuvent être utilisés pour oraliser à leur place et les aider à mettre sens. Une vigilance est à maintenir sur l’utilisation de cet outil, si c’est pour de la production écrite ou juste lire à voix haute le texte, ce qui revient à de la compréhension orale.

  • K : Profil signant sans retour auditif

Pour ce profil, voici l’exemple d’un jeune garçon sourd profond avec handicap associé, il n’a pas d’appareillage. Il n’avait pas de langue construite et a été exposé tardivement à la LSF (5 ans). Malgré ce profil, il est nécessaire de faire de la phonologie également. Premièrement, car cela aide à développer une conscience articulatoire qui va aider à la lecture labiale. Et deuxièmement car la méthode globale a des failles. Il a été démontré que le stock de mot acquis via cette méthode est limité. Il ne faut pas pour autant l’écarter, mais la coupler avec de la phonologie.

La méthode Aloé le permet. Les élèves mémorisent visuellement en globale la forme du mot puis, grâce au code couleur des voyelles, ils peuvent affuter l’empreinte mnésique qu’ils ont de ce mot. Cela fonctionne aussi bien en codage qu’en décodage. Par exemple de ces 2 mots : le mot « chat » a une forme assez caractéristique, en globale il sera possible de l’acquérir. Le mot « souris » quant à lui n’a pas une forme très reconnaissable. Grâce au code couleur Aloé, les jeunes peuvent aussi se souvenir des couleurs associées au mot et c’est déjà 3 lettres de moins à mémoriser. Nous voyons la différence aussi avec des mots proches graphiquement et identiques en lecture labiale. « Château » et « chaton » ont des sens totalement différents et une confusion est rapidement possible. Avec le code aloé ils peuvent voir où se situe la différence et cela aide leur empreinte mnésique (cf. Annexe 3).

Figure 4 : empreinte visuelle des mots avec Aloé

Ainsi pour ce profil d’élève, il est possible d’utiliser La Méthode Aloé avec des visuels pour mettre du sens sur ce qui est lu. Avec comme objectif dans un second temps de ne plus avoir besoin des images/pictogrammes (cf. Annexe 2). En parallèle, pour travailler la lecture compréhension, il est possible d’utiliser Narramus.

3. Les axes de travails pour tous les profils

Pour tous les exemples ci-dessus, il est intéressant de constater qu’il est possible de travailler tous ensemble sur le même texte. Ce texte n’est pas simplifié, il subit seulement des adaptations différentes selon l’élève. Ainsi il est possible de travailler en groupe hétérogène, seul les supports et objectifs attendus changent.
Pour chaque profil il est nécessaire de travailler la phonologie et la lecture-compréhension. La phonologie permet de développer leur conscience phonologique, comprendre la structure du mot et de faire le lien entre l’écrit et la parole. Que ce soit en réception auditive ou visuelle (LL). Le travail de la compréhension en parallèle est important pour mettre du sens au mot. Mais aussi pour travailler la relation à l’écrit en leur montrant qu’un texte est porteur d’informations. Il y a un sens global et pas seulement un sens à chaque mot. Il faut ancrer les mots dans un premier contexte. Bien souvent via un album, puis on va démultiplier ces contextes pour permettre la généralisation et les préparer aux contextes particuliers (expressions de langue, polysémie) qu’il faut toujours leur présenter. Il est nécessaire de travailler sur la structure de l’écrit et du texte, pour avoir cette notion de récit. Pour aider à la compréhension il faut aussi étudier les macrostructures pour faciliter la prise d’indice et le travail de recherche dans la mémoire.

Conclusion

L’accès au lire et à l’écrire peut être long et laborieux pour certains jeunes, surtout lorsque des troubles associés s’ajoutent, mais il se fait petit à petit.
Il y a de plus en plus d’enseignants qui utilisent des outils de FLE. Bien que leurs supports soient intéressants pour travailler la langue, les outils ne sont pas gage d’accessibilité optimale ni toujours adaptés. Les problématiques centrales de profil linguistique et de développement d’une première langue efficiente ne concernent pas les primo arrivants entendants qui ont déjà une langue maternelle fonctionnelle.
L’idée était, à travers cette invitation au colloque ACFOS, de pointer ensemble, à travers une focale scolaire, à la fois la spécificité du public d’enfants sourds mais également l’émergence de pratiques universelles et explicites quant à l’enseignement de l’écrit. Ces pratiques doivent viser la mise en place d’un environnement sécurisant d’apprentissage à travers l’accueil bienveillant du discours du jeune et un enseignement explicite de l’écrit notamment dans le domaine de la compréhension de textes. En résumé : dire pour écrire, écrire pour lire et lire pour dire ! Un cercle vertueux !


BELLEMARE Salomé, enseignante spécialisée CAPEJS et cheffe de service pédagogique, IRJS R. Barberot
JONDEAU Camille,
enseignante spécialisée CAPEJS, IRJS R. Barberot


Annexe 1

Exemple de texte encodé avec la méthode Aloé :

Extrait de l’album : Bloch. M & Monnet. C. (2021) Les trois chatons, Didier Jeunesse

Annexe 2

Exemple de texte encodé avec la méthode Aloé et pictogrammes :

Extrait de l’album : Bloch. M & Monnet. C. (2021) Les trois chatons, Didier Jeunesse

Annexe 3

Exemple de codage Aloé couplé à la méthode globale :

Références bibliographiques

Philippe Séro-Guillaume
Paru chez Editions du Papyrus, 2008.