Ecrire est une enfance
Publié le : 12 décembre 2024
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Le titre de cet article est totalement emprunté à celui d’un ouvrage de Philippe Delerm, paru chez Albin Michel. En manière d’annonce, presque programmatique, de l’ambition qui sous- tend notre propos, à savoir : raccorder, par le biais de l’atelier d’écriture, les jeunes sourds à leur propre enfance, en rendant, pour chacun d’eux, accessible sa propre sensibilité singulière.
Et cela, au sein même des cours traditionnels de français et du cadre parfois intimidant des programmes dédiés, qui peuvent passer en première approche comme « limitants ».
A l’usage, on trouve sans trop de peine dans les contenus académiques des espaces où s’engouffrer, toute créativité dehors. Ceci n’empêchera pas d’ailleurs les pédagogues qui en ressentiraient le besoin d’initier un véritable atelier d’écriture, avec éventuellement, un horaire décroché des séquences étudiées, et pourquoi pas dans un nouveau lieu d’activités qui ne soit pas la salle de classe, ouvrant ainsi par le dépaysement, plus largement la fenêtre d’expression personnelle.
Les lignes qui suivent, de Philippe Delerm toujours, illustrent de belle façon, la philosophie de l’auteur, lui aussi, rappelons-le, enseignant à l’origine, et que nous faisons nôtre avec enthousiasme.
Et donc, encouragé de si belle manière, nous partirons à la recherche de cet ouvroir comportant de fines aiguilles qui percent à cœur, remuent au plus profond de soi et mettent, par le jeu motivant d’amorces et de reprises de trames, en branle l‘écriture même chez ceux qui s‘en croyaient plutôt éloignés.
Toute la démarche s’inscrivant dans l’invitation qui engage les élèves sur les deux versants de la lecture-écriture, indissociablement liés, pile et face de la pièce lisante-écrivante.
Tant il est vrai que les capacités de lecteur/lectrice sont intensifiées, magnifiées par les pratiques d’écriture pratiquées dans la foulée et tant les forces écrivantes sont nourries par les prouesses liseuses, en amont. Ces deux processus venant, en se complétant, à s’emballer, dans une accélération vertueuse aux feed-back pleins de bonifications.
Tout écriveur devenant de fait, le lecteur de soi-même face au texte qu’il produit.
Et fort de ce regard néo-critique, il peut ainsi amender, compléter, modifier et embellir cette pâte linguistique issue de soi-même.
Nous dirons deux mots sur « l’animateur/animatrice » de l’atelier d’écriture. Ses maîtres mots seront : ACCUEIL/ÉTAYAGE/DÉCLENCHEURS/BIENVEILLANCE.
Il ou elle saura accueillir, avec empathie, les écrits juvéniles dans leurs prémisses, dans leurs balbutiements, dans leurs repentirs, sans brandir le stylo rouge qui barbouillera d’encre couleur de sang, l’accouchement parfois difficile du texte.
Maïeuticien/nne patient/e, il/elle aidera à la délivrance, après avoir proposé des outils pertinents, des étais rassurants.
Il saura offrir de fulgurantes amorces, de belles mises à feu, de puissants boosters qui propulsent les élèves vers la création littéraire, la plume ou le clavier à la main
On pourrait s’inquiéter des difficultés connues des jeunes sourds à entrer dans les textes, ressentir de l’appréhension à l’idée de les lancer devant la page blanche et craindre même de fortes réticences, de réels blocages ou de brutales démotivations.
Tout est affaire, en réalité, d‘entrées en matière bien dosées, de propositions favorables, stimulantes, ludiques et désinhibantes et de bons appuis
Il ou elle saura accueillir, avec empathie, les écrits juvéniles dans leurs prémisses, dans leurs balbutiements, dans leurs repentirs, sans brandir le stylo rouge qui barbouillera d’encre couleur de sang, l’accouchement parfois difficile du texte.
Maïeuticien/nne patient/e, il/elle aidera à la délivrance, après avoir proposé des outils pertinents, des étais rassurants.
Il saura offrir de fulgurantes amorces, de belles mises à feu, de puissants boosters qui propulsent les élèves vers la création littéraire, la plume ou le clavier à la main
On pourrait s’inquiéter des difficultés connues des jeunes sourds à entrer dans les textes, ressentir de l’appréhension à l’idée de les lancer devant la page blanche et craindre même de fortes réticences, de réels blocages ou de brutales démotivations.
Tout est affaire, en réalité, d‘entrées en matière bien dosées, de propositions favorables, stimulantes, ludiques et désinhibantes et de bons appuis.
L’atmosphère souhaitée étant décrite, nous allons évoquer la double activité de lecture et d’écriture poétique, devenues, on l’a compris, dans l’esprit tout à fait siamoises.
On ne se privera pas non plus, dans ce cas-là, d’inviter un poète, une poétesse en classe, quand la situation s’y prête, après avoir convoqué toutes sortes de poèmes sur papier.
Le Haïku
Et la voie royale d’entrée pour entamer l’aventure peut se faire par la découverte des haïkus.
On connaît ces poèmes d’origine japonaise, très courts (un avantage pour une initiation poétique !) qui célèbrent l’évanescence des choses (aiguille fine !) et les sensations qu‘elles provoquent en soi, à la contemplation des saisons mais pas que.
En Occident, le haïku s’écrit sur trois lignes selon un rythme court/long court et avec 5/7/5 syllabes dans sa forme classique. On usera de la même licence que les poètes contemporains, qui peuvent écrire sous des formes encore plus brèves et pour lesquelles on peut aussi bousculer le rythme.
L‘avantage primordial de ce type de poème, outre sa brièveté (pas de découragement par avance de lecteur malhabile !), c‘est le regard original porté qui est offert et mis en musique avec une grande économie de moyens. Ce qui est exemplaire pour le débutant et ne consiste donc pas en une tâche d’écriture trop ardue.
Le Haïku, cette sorte d’instantané d’un évènement très subtil perçu par les sens, est une proposition qui, devenue plus familière, aiguisera la perception des élèves. Sa fréquentation régulière les conduira à produire leurs propres clichés transcrits en vers, et vice versa : « le haïku signé » pourra être retranscrit en mots, en décortiquant la proposition poétique portée par les mains et les expressions du visage.
On peut d’ailleurs assez aisément dessiner le haïku écrit,(activité de complément fructueuse), en faire ainsi une image croquée qu’il sera aisé de transposer en langue des signes.
Le texte de départ se promène alors sur des vecteurs différents : corporel, support papier et feuille de dessin, en une suite d’avatars qui produisent des échos très enrichissants !
Donnons deux exemples :
Le champ labouré couvert de mouettes Il lève les bras au ciel L’épouvantail | Poing dressé Un saule isolé Fait exploser le printemps. |
On peut s’appuyer sur des sorties pédagogiques pour faire moisson de vues en se munissant d’un appareil photos ou d’un téléphone mobil, afin de se constituer un catalogue de clichés, féconde matrice des poèmes à venir.
Ensuite, on peut poursuivre dans la voie poétique au cours d’études de textes inscrits dans les programmes.
Après toute lecture attentive d’un poème, c‘est-à-dire de son élucidation sous formes de prises d’indices de compréhension, mais non son épuisement par des explications professorales qui le « plomberaient », (les élèves doivent rester des détectives sur la piste du sens), on entame sans tarder une activité d’écriture conséquente, en lien avec la forme et le fond de celui-ci.
Le principe actif consiste à faire suivre la lecture signifiante, sans trop de délai de son réinvestissement par toute une série de déclencheurs d’écritures.
En fait, quand la lecture des textes majeurs devient une sorte de plaisir quotidien, les élèves s’imprègnent des tournures, des métaphores, des enveloppes et des cadres et infusent dans la magie des lignes qui nourrira leurs futures productions. Cela se passe même à une échelle modeste et vaut aussi pour une valeur dopante essentielle : l’envie d’écrire à son tour !
On peut conserver la silhouette du poème, conserver certains éléments ou segments, caviarder les autres parties, etc.
Ainsi le célébrissime « Le Dormeur du val » de Rimbaud dont on conserve « le squelette » et quelques bribes de vers devient sous une main de collégien :
Le conducteur de la route du désert
C’est une route de Los Angeles à Miami, une route déserte
Une route droite pendant des kilomètres,
Le soleil tape violemment, une chaleur affreuse !
Lui, c‘est le conducteur de la route du désert
Etc.
On exploite dans la même veine, et avec bonheur, les multiples jeux stylistiques des poètes.
L’acrostiche
Avec par exemple : L’acrostiche qui est un déclencheur de première force !
Apollinaire dans son poème « Adieu », nous initie à la méthode. Les trois lettres du prénom de son aimée LOU sont, pour chacune la première lettre d’un vers, à chaque strophe.
Déjà un de vos élèves, poète en herbe, écrit verticalement LÆTITIA et entame son poème de huit vers en se lançant pour son amie de cœur, réelle ou de papier !
L’anaphore
Ou encore, l’anaphore, qui est une clé multiprise et féconde. Et comme vous avez étudié le poème « Tant de temps » de Philippe Soupault :
Ce sera plutôt simple : vous disposez d’une trame, il suffit de proposer sur ce canevas un titre nouveau : “Tant de gens » et de remplacer « temps » par « les gens » et vos ouailles vont anaphorer avec facilité !
On s’offrira en gourmandise « La carte d’identité poétique ».
Les rubriques de la véritable carte d’identité sont très vite revisitées !
NOM : Fils du silence et de la lumière
Date de naissance : Un miracle m’a fait naître un matin de printemps
Lieu de naissance : dans une salle bizarre sous le regard de personnes masquées
Adresse : lieu tranquille enfoui dans ma mémoire
etc.
On restera dans la même démarche pour les textes en prose. Et on achalandera son magasin d’écriture de la façon la plus variée.
Ainsi, la manipulation des scripts et des scenarii de la vie quotidienne. Ainsi celui de « Déménager » ou « d’aller au restaurant » , etc., suite d’infinitifs, une fois établie et organisée chronologiquement qu’il s’agit ensuite d’habiller de phrases plus charnues.
La suite logique d’un texte qui s’appuie sur une lecture experte qui identifie le texte étudié comme un tissu.
L’entrecroisement des fils narratifs doit être élucidé avec le repérage des personnages et de leurs descriptions et actions par le jeu des reprises anaphoriques, des chaînes de causalité, des indices spatiaux et temporels etc. tous fils qui désormais pendent à l’endroit où le texte a été interrompu, à charge pour l’élève de poursuivre le travail de filage, en respectant la cohésion du texte amputé de sa suite et de proposer, fidèlement à ses inscriptions dans le temps et l’espace et dans l’intrigue posée , la prise en compte puis le dépassement des contraintes que le texte met en exergue, et d’écrire sa suite à lui, respectueuse et ouverte à la fois !
Beau numéro d’équilibriste !
Le mot a été prononcé : contrainte !
Nous y venons avec entrain car la contrainte libère ce qui n’est pas le moindre des paradoxes !
Ce n’est pas George Pérec et les membres de l’OULIPO* qui nous contrediront !
L’expression écrite dite « libre » est souvent extrêmement paralysante !
La contrainte, de son côté, balise le terrain. La figure imposée, contre toute attente, rassérène. Elle indique un passage obligé qui évite trop de gamberger et montre une fois l’obligation respectée toute une foule d’espaces vierges à investir à son gré.
La contrainte, qui devient très vite moins pesante, ouvre merveilleusement les imaginaires car elle offre une perspective inattendue, elle se connecte mystérieusement avec l’inconscient de l’auteur, autrice qui ne demandait secrètement que cela. L’aiguille, au passage, touche quelque chose et c’est alors comme la Belle Imaginative au bois dormant qui se réveille au baiser prometteur de la consigne.
Les contraintes de départ :
Posons cette injonction colorée :
« Écrivez un texte contenant les sept mots qui désignent les couleurs de l’arc-en-ciel ».
Les élèves démarrent au quart de tour et livrent des textes très inventifs irisés à leur façon !
Vous mobilisez ensuite les quatre éléments : EAU/AIR/TERRE/FEU et c‘est le même élan !
La créativité est fédérée par les quatre rubriques, l’inventivité est drainée, canalisée par les quatre intitulés et vogue la galère, joyeuse, pimpante et inventive, crache le feu de l‘invention, souffle le vent de l’inspiration, montent en fleurs de rhétorique les mots graines !
Vous êtes en panne d’inspiration ?
Demandez d’écrire l’histoire d’une lettre de l’alphabet (le H part à l’aventure pour faire un mot croise le I, avec qui il chemine avant de croiser un groupe de lettres : les Biscus et de leur union fraternelle naîtra… je vous laisse deviner !).
Optez pour la saga inattendue d’une fenêtre, l’épopée d’une toupie, etc.
Invitez les élèves à écrire la plus longue phrase possible…
Demandez-leur de retrouver un micro-souvenir : « Comment j’ai appris à… nager, faire du vélo… » etc.
Récupérez des ciseaux (à bouts ronds !), mettez des journaux dans les mains des enfants et faites leurs découper des mots à leur guise et faites piocher dans le sac réservoir une fois rempli, dix mots qui devront figurer chacun dans l’histoire à concevoir.
Autant s’amuser !
Le ludique est un cousin malicieux de la contrainte !
Les calligrammes
Apollinaire encore et qui nous propose ses calligrammes. Et ça marche du tonnerre de Dieu !
Avec les contours de votre animal préféré, écrivez un poème !
Et voilà le chat Sully qui nous montre son pelage parcouru de mots, ses pattes tressées de lignes qui ondulent ! Voilà une maison dont les murs murmurent de belles phrases !
Allez plus loin, les calligrammes grammaticaux :
Posez un pronom IL ou ELLE au centre d’une feuille A3 , disposez en cercle autour de celui-ci , les les 24 lettres de l’alphabet et la consigne invite à écrire une phrase avec un verbe qui suit le pronom.
IL avale son repas rapidement, Il boit un coca-cola et ainsi de suite, Il croise son ami Julien et ainsi de suite jusqu’à Z !
Jouons toujours et sans retenue !
Pef et sa belle lisse poire du prince de Motordu (Folio Benjamin Gallimard) nous propose de belles rigolades !
Et les enfants sourds ont le droit de se marrer avec les menus loufoques, cela décoincera un peu leur conscience phonologique que l’on croit, souvent à tort, chez eux, un peu frileuse :
Les mots valises
Dans nos bagages, nous emportons aussi les mots-valises !
Un caméléon et un kangourou font l’affaire ! Il ne faut pas longtemps pour qu’ils deviennent camégourou et kanléon, ouvrant la porte à un bestiaire fantastique, à la manière de celui de Maurice Fombeure (le plumebec, le molubec, la gicandouille, etc.) dont on se fera un plaisir de narrer les aventures pour le moins picaresques !
Les amorces
Vous préférez alors parler plutôt, à présent, d’amorces ?
Georges Pérec est un fort précieux contributeur et un sympathique prolifique adjuvant pédagogique.
Nous nous souvenons avec bonheur d’un travail initié par la reprise de son fameux « Je me souviens » .
Avec pour seule consigne de panacher les souvenirs retrouvés, ceux qui relèvent de l’intime et du personnel et ceux qui s’inscrivent dans des réminiscences collectives, historiques ou sociales.
(Prévoyez une fiche d’aide, (il faudra en prévoir une pour chaque création) et pour cet exemple – « Je me souviens de/ du…+ groupe du NOM // -Je me souviens que…+ Subordonnée).
Pérec encore qui nous invite : « Les Quinze choses que je voudrais faire avant de mourir ». Tout le contraire du lugubre : ça fuse chez les jeunes auteurs !
Et pourquoi pas s’amuser, comme lui, à des variations sur la fameuse phrase de Marcel Proust, dans l’incipit de la Recherche du temps perdu : « Longtemps je me suis couché de bonne heure »
Dans l’arsenal de l’atelier on dispose d’autres armes de production massive :
Le story-Board
Le story-board, entre autres.
Il est directement inspiré des dessins des scènes élaborés avant la prise de vue sur le lieu de tournage et qui sera réalisé par et pour les élèves.
Il est facile de demander à l’élève (voire aux élèves, les binômes ou groupes de travail sont sources de richesse partagée) de visualiser, à la manière d’un court métrage, l’histoire qu’il se propose de narrer.
Le découpage du petit film au moyen de cases dans le style de la bande dessinée, oblige le créateur à organiser temporellement et spatialement son histoire, à faire l’inventaire de ses personnages et de leurs caractéristiques, à faire apparaître des détails importants pour la compréhension, à préciser le scénario et affiner l’intrigue.
Une fois réalisé, cette trame dessinée (en usant de la grammaire cinématographique des plans : plan d’ensemble , plan moyen , gros plan etc., ainsi que des ellipses !) validée dans sa cohérence et le jeu de ses enchaînements et de causalités, l’apprenti écrivant s’attelle à la transcription en langue française de son travail visuel, en respectant toutes les informations contenues dans les cases et en trouvant les moyens grammaticaux de leur enchaînement.
Pour familiariser à cette façon de procéder, on aura pratiqué, auparavant, sur le versant de la lecture des textes la même activité mais inversée. Lecture d’un passage avec saisie des blocs de sens, de longueur variable, un paragraphe voire plus dans certains cas, susceptibles d’occuper une case et fabrication du story-board, avec là aussi, la vérification que tout ce qui était indiqué dans le texte est bel et bien présent sous sa forme graphique sans omission !
Puisque nous sommes dans les parages cinématographiques, faisons le saut vers les moyens visuels tels que les caméras numériques, d’autant que les élèves sont désormais habiles à filmer grâce à leur téléphone portable…
Les élèves peuvent produire leurs dits en langue des signes, qui seront enregistrés et prendront ainsi un statut « d’écrits », en ce sens que relevant d’une lecture différée possible, de transmissions possibles en dehors du temps de production, sous forme de traces stables, et avec la formidable possibilité d’arrêt sur image sur l’écran de visionnage.
Dès lors, un « texte » filmé et validé en langue des signes, en termes de clarté et de cohérence peut se voir, pas à pas, et avec le même souci d’intégrité, « transcodé » en langue écrite.
Cette première étape, rassurante pour les élèves sourds encore à la peine en langue française écrite, leur offre un tremplin rassurant qui mobilise, à leurs justes valeurs, leurs compétences langagières en LSF.
(On pourra bien évidemment user du dispositif, en sens inverse, produire un « écrit visuel signé » à partir d’un texte sur support papier).
On n’oubliera pas les supports visuels déclenchants : photos-montages, bandes dessinées, extraits de films, toute iconographie qui surprendra, amorcera la pompe à idées et la machine à tracer des lignes.
La dictée à l’adulte
Elle réclame un dispositif de travail quand on a la charge d’un groupe. Elle sera un étai majeur en parallèle du travail de groupe. Elle est très facile à mener en cas de soutien individuel, la situation de tête à tête étant parfaite pour le travail en co-construction du texte en cours. Mais dans le groupe classe, l’enseignant qui en usera doit faire en sorte que des temps privilégiés pour le travail en duo soit possible, car il s’agit d’accueillir la proposition de l’élève, son work in progress, et d’être au plus près de ce qui se dit. Sa main experte est mise au service du propos énoncé, à charge de n’écrire que ce qui est clair et écrivable, donc après un temps de dialogue et de retours sur les différents jets qui doit être mené, un véritable accouchement patient, passionnant, formateur mais qui est un peu chronophage !
Les fiches d’aide
Il s’agira de procéder à une sorte de marqueterie : la fiche d’aide sera adaptée à chaque exercice d’écriture, voire à chaque élève. Elle comporte des appuis pensés en amont par l’enseignant/te. Cela peut relever d’une fiche à fort volet lexical pour fournir, sans trop de perte de temps, des cartouches de vocabulaire aux idées qui se font jour dans la tête de l’écrivant, de supports iconographiques comme d’aides grammaticales ou de balises thématiques.
Elles rejoindront un classeur d’outils d’écriture tout au long de l’année. La fiche dédiée, par exemple au récit de type autobiographique pointera les items fondamentaux de ce type d’écrit de soi : Les temps du passé/l’expression des sentiments, l’usage pronominal du JE, le présent d’écriture, les retours en arrière chronologiques etc.
Mais sur place, in vivo de l’acte d’écriture, l’enseignant pourra compléter le dispositif d’aide par des remarques ou des précisions, qui elles aussi prendront place le fourniment du voltigeur / de la voltigeuse sur le front d’écriture.
Le présent article ne vise pas l‘exhaustivité de ce qu’il est possible d’entreprendre en matière d’atelier d’écriture, il propose, à sa façon, quelques directions. Le lecteur averti, qui a ses propres pratiques et ses pistes éprouvées, complétera avec profit.
Bien sûr, le chœur des esclaves du cadre scolaire, à cet instant où s’annonce bientôt le terme de l’exposé, va y aller de son couplet un peu geignard : “Mais mon bon monsieur les EVALUATIONS ?”.
Nous avons repoussé la réponse mais elle vient.
Nous avons plus haut écarté le spectre de la correction sanglante, et au sujet de celle-ci, nous proposerons l’usage des fiches navettes. Cela consiste à accueillir le premier jet de l’élève, et dans le dialogue nourri avec lui, d’indiquer sur sa feuille, des balises pour améliorer la production, à l’aide d’un code que l’on aura construit de concert.
A : pour un problème d’accord, PC : pour pas clair, I : pour idée, L : pour liaison des phrases, O : pour omission etc., qui guidera vers des reformulations que l’élève proposera, au cours d’allers et retour vers l’enseignant durant l’atelier.
Le peignage par les pairs
Autre possibilité : le peignage par les pairs.
Le texte est soumis à un élève qui débat de sa compréhension avec l’élève auteur et il y a alors possibilités d’ajustements en direct. Puis la copie passe dans d’autres mains de camarades qui, en marge et en sus de l’échange oral, peuvent proposer des modifications ou enrichissements du texte initial.
Sans oublier le travail de rédaction finale au moyen de l’ordinateur, qui offre un logiciel de correction orthographique et propose une copie « nette » car dactylographiée, sans pour autant supprimer la phase manuelle scripturale qui permet de jeter les bases de son travail.
Les amendements sont assez faciles à effectuer grâce à la souplesse de la machinerie du clavier et de l’écran.
En tous les cas, on fera en sorte que les écrits des élèves produits dans ce petit laboratoire d’écriture, deviennent de véritables écrits sociaux, et ce avec leur accord : édition de plaquettes de poèmes, recueil de textes qui vont circuler de classe en classe ou à l’échelle de l’établissement, en direction des parents, ou encore des correspondants scolaires, voire plus loin le cas échéant.
En résumé :
En guise de non-conclusion
Il suffit donc de libérer le contenu émotionnel, la source imaginative de chaque élève sourd et aussi entendant !
Petit ruisseau qui, bien accompagné, deviendra rivière de mots.
On choisit avec attention les aiguilles qui viendront atteindre ces petites poches secrètes, ces réservoirs de songes retenus et d’essors qui n’osaient pas encore se déployer.
Ce faisant on perce l’abcès du complexe vis à vis de l’écrit et dès lors écrire avec de jeunes sourds devient en quelque sorte une enfance… de l’art !
Antoine TARABBO, enseignant spécialisé (retraité), écrivain
“PS” : Pour chercher de l‘aide dans le magasin d’écriture, demandez des auteurs de la réserve, ils ont des pelotes d’aiguilles variées et très utiles : Nazim Hikmet, Georges Perec, Bashô, Jacques Prévert, Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Pablo Neruda, Robert Desnos, Andrée Chedid, Jacques Sternberg et… tant d’autres à mobiliser qui se feront une joie de participer !
Et réclamez deux très bons biscuits pour la route (à retrouver dans la bibliographie ci-dessous)
« Jeux de langage et d’écriture / Littératurbulences (7-14 ans ) Yak Rivais, Edition RETZ, 1992
« Grammaire de l’imagination » Gianni Rodari, Edition Rue du Monde, 2010